Denis,
Je viens de lire ta présentation et je crois que, si tu n'avais pas peur de la mort, tu aurais peur de quelque chose d'autre. Tu as eu peur toute ta vie. Anxiété chronique ou anxio-dépression chronique, c'est une question d'hérédité. Et l'argent, tu le sais très bien, ne t'a jamais apporté qu'une sécurité illusoire. Dis: «Que Sa volonté soit faite» et abandonne-toi un jour à la fois. C'est la seule véritable sécurité que je connaisse.
Par ailleurs, ta vie ressemble à la mienne. Je suis un rescapé de l'enfer, un survivant de l'asile, vieux garçon, BS chronique instruit dans un HLM en bicycle à pédales. Oui, et puis? Est-ce vraiment si dramatique? Quatre amours, quelques amourettes, un paquet de «troubles», mais aucun regret. Une dysfonction légère et intermitente de l'activité cérébrale a perturbé toutes mes relations humaines toute ma vie: sentimentales, sociales, professionnelles, etc. Des Pèlerins et des Pèlerines anonymes m'ont accueilli pour ce que j'étais, m'ont appris à m'aimer pour ce que je suis, ils ont ri de moi et m'ont appris à rire de moi-même. Je leur dis merci et, s'il était à refaire, je referais le chemin qui m'a mené jusqu'à eux et jusqu'à toi ici et maintenant.
Je n'ai pas choisi mon hérédité (ni toi la tienne) mais il m'appartient de l'assumer. J'ai chez moi une statuette de Nataraja, une incarnation du dieu Vishnu, qui exécute la danse cosmique dans un grand cerceau de feu, un objet symbolique dans chacune de ses quatre mains, ou seize ou mille bras. Il danse avec nos illusions. J'espère aussi trouver une statuette du Bouddha à la fois méditatif et moqueur. Il a l'air de méditer, mais il se moque de nous, il se moque de nos petits drames personnels. Et il a raison, nous sommes tout à fait risibles et prétentieux. Je préfère ces images à celle d'un dieu crucifié, c'est une question de goût. Félix Leclerc nous traitait d'orgueilleux tas de glaise et il avait raison lui aussi.
Je connais un «malade», âgé de ±65 ans, qui vient diner à la soupe populaire certains midis. L'été dernier il s'est fabriqué un chapeau dans une grande boîte de carton brun gondolé: une rondelle, un cylindre, un bouchon, sur lequel il a greffé toutes espèces de breloques: médailles, médaillons, chaînettes, brochettes, épinglettes, drapeaux du Québec et du Canada, des petites lumières qui brillent, etc. Il s'est procuré une flûte en plastique à un dollar au Dollorama. Il jouait, et joue encore, de la flûte sur la rue Cartier et les passants déposent de la menue monnaie dans son chapeau. Il ne souffre pas et ne fait pas souffrir personne. Bien au contraire, il rit et fait rire, il a du fun, la vie est belle. J'en suis à me demander si je ne devrais pas en faire autant. Je vais me fabriquer un chapeau et me procurer une flûte; tu viendras déposer un 25¢ à l'occasion. Ça vaut bien un lampion! Et le bonhomme ne sera plus seul, il aura de la concurence!
Salutations fraternelles, vieux Pèlerin...